Comme en primeur des résultats de recherche de mes enquêtes de terrain (toujours en cours) auprès des Touaregs et Sahariens dans le sud algérien, je me permets de partager avec vous ce poème que j’ai écrit à Tamanrasset dans mon journal de terrain. Il est comme une trace, une traduction alternative, ou encore un matériau composite de l’expérience vécue, de l’observation, des ressentis, des projections et des rencontres du chercheur. Le Sahara est à la fois un lieu de solitude et de sublimation.
Et dans ce décor, la poésie énonce souvent les dynamiques socio-politiques, comme en témoignent les poèmes recueillis par Charles de Foucauld au début du siècle dernier (dont j’ai amorcé la consultation, réflexions à venir). Ils énoncent souvent les relations entre communautés touarègues, notamment entre les Kel Ahaggar et les Iwellemmedan. Plus récemment, les travaux de Dominique Casajus, de Paul Pandolfi et de Charles Grémont (qui m’inspirent et que j’invite à lire) ont démontré tout l’intérêt de l’étude du poétique pour saisir le politique. Le Sahara est un lieu où la poésie et le politique se rencontrent. Doit-on à présent amorcer une rencontre plus assumée entre les deux ? Comme en écho aux travaux sur l’humour et le politique d’Emmanuel Choquette, collègue à l’Université de Sherbrooke, ou aux élans littéraires, postcoloniaux et décloisonnés de Dalie Giroud (prof à Uottawa), il y a certainement un besoin de rafraichir notre regard dans le champ des études politiques. Saisir que les matériaux de la science politique sont plus nombreux et assumer les élans créatifs comme d’autres types d’éclairage, et non comme une simple radicalité, serait déjà un bon début, avant de s’apercevoir que les pensées de l’intime révèlent la positionnalité, la stratégie de communication et l’impact recherché et permettent une réflexion sur le message et le destinataire, et plus encore sur les relations entre acteurs. Les couches de sens sont aussi là et à la manière des pistes suivies par les sémiologues, la navigation en-dedans me semble presque relever de la nécessité.
LA TARGUIA
Le fantasme présent à chacun de ses pas,
Toute drapée de tissus colorés, elle s’abîme dans les rues de Tam,
Elle est mon rêve dans le sable,
Elle est la targuia.
À la recherche d’un taxi, dans une urbanité inconstante,
Elle arrête la voiture et d’un échange de regards,
Ma pensée est trouble comme celle d’un akafar,
Qu’elle est belle dans ce qu’elle dessine.
Oui, un eros perturbé dans l’aridité saharienne,
C’est elle. C’est la targuia.
Où est Dassîne ? Non, akhi, pas le motel de Tamanrasset!
Je cherche l’antique beauté.
Doit-on la deviner derrière les rochers de l’Adriane,
Ou se reflète-t-elle dans les jeunes femmes croisées à l’Assihar ?
À la veille du ramadan, je cherche la targuia.
Brisé et essoufflé dans la chaleur saharienne,
Le ksour en ruines de Moussa me peine,
Et me rappelle son ancienne passion pour la targuia,
Win Raki ? Win Rani ?
Du tindé à l’imzad,
Mon cœur vacille sans trouver le rythme,
Et pourtant, il continue de s’abîmer dans un doux refrain,
Celui de la targuia.
Adib Bencherif, 10 mars 2024, Tamanrasset.