Le retour du terrain : 6 astuces pour (re-)trouver le chemin de l’écriture

Je partage ici, avec vous un billet que j’ai écrit il y a quelques années pour Praxis : The CPSA Career Blog / Le blogue carrière de l’Association Canadienne de science politique. J’ai ajouté deux astuces et fait des micro-corrections. J’espère qu’il pourra aider les étudiant.e.s au cycle supérieur (maitrise et doctorat) à se ménager et à accepter plus sereinement la relation non linéaire à l’écriture.

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La collecte de données sur le terrain est finalement terminée ! Enfin ! Pour ma part, je me revois terminer mon enquête ethnographique au Mali et au Niger et revenir au Canada. À peine arrivé à l’aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau de Montréal, quelques millièmes de seconde après le premier soupir de soulagement, une question se mit à accaparer mes pensées : « et maintenant ? ». Cet état, on l’a tous partagé ou on s’apprête à le (re-)vivre suite à la fin d’une enquête. L’idée n’est pas de parler des défis qui attendent l’ethnographe lorsque le chercheur revient du terrain. Il s’agit ici de tenir une réflexion d’ordre plus général en m’inspirant de ma propre expérience. Bien des « terrains » (archives, bases de données, études cliniques, stage pratique, ethnographie etc.) sont difficiles et ils ont tous leurs défis respectifs. Le retour à la « réalité » et au monde académique, sans avoir eu nécessairement à s’expatrier, peut donc être un choc pour beaucoup d’entre-nous. Que faire pour retrouver une vie académique minimalement saine ? Voici 6 astuces qui ont jalonné mon parcours, que j’ai suivi de manière plus ou moins constante mais qui m’ont grandement servi pour effectuer un retour à l’écriture qui ne soit pas trop abrupte.

1 - Accepter le temps de décantation :

Inévitable. Il faut décanter. Ok, vous avez amassé une quantité d’informations formidable. Si vous procédez par induction, il est même possible qu’il y ait une bonne part qui ne concerne pas spécifiquement votre question de recherche, qui soit périphérique, voire qui vous incite à la reformuler. C’était mon cas…Une fois que que le temps de décantation est accepté comme nécessaire, il est possible de commencer à entretenir un rapport plus serein dans les étapes de retranscription, de structuration et de codage des données collectées. Les astuces qui suivent sont inter-reliées à celles-ci et contribuent aussi à la faciliter.

2 - Exorciser par les conférences, les ateliers et les workshops :

De la frustration… Des blocages dans l’écriture… Des contradictions dans l’analyse… De l’opacité dans les données… Ou encore une envie de partager ses trouvailles ? Les conférences, les ateliers, les workshops servent à répondre à tout cela. Ils peuvent arriver à différentes étapes de vos réflexions et de vos écrits (chapitres de thèse, chapitres de livre ou articles scientifiques). Il ne faut pas s’en priver car c’est une occasion d’avoir des commentaires, des questions de nos pairs mais surtout de tester nos articulations d’idées et l’intelligibilité de notre pensée. Ces évènements permettent donc de raffiner notre pensée. Ce premier point est évident, d’accord. Mais plus que cela, les conférences ont aussi une vertu cathartique. Elles nous permettent d’exprimer ce qui nous anime, de ranimer notre passion, de nous rappeler pourquoi on aime tant se torturer l’esprit et puis de partager avec les membres de sa communauté épistémique (ou pas). L’être humain est un animal social. Les étudiant.e.s au cycle supérieur aussi. Ne négligeons donc pas ces moments. 

3 - Décanter par la pluralité des écrits :

« Publish or perish ». Un triste adage maintenant au cœur de la réalité académique que l’on répète à l’envie jusqu’à s’en étrangler. Néanmoins, multiplier les écrits a aussi quelques avantages et peut être salvateur. Cela permet aussi de poser et d’articuler ses pensées avec diverses contraintes d’espace (7000 – 9000 mots environ pour un article scientifique, 6000 mots pour un chapitre de livre, 900 mots pour un article de presse). On se retrouve alors en fonction des formats à chercher à expliquer de la manière la plus adroite, succincte, didactique et dense possible nos arguments. Et ces écrits constituent aussi des sources nourricières pour s’approprier et digérer les données collectées et pour s’attaquer par la suite à la thèse, si d’aventure elle n’est pas écrite sous forme d’articles scientifiques.

4 - Constituer un groupe composé de pairs pour se rencontrer et échanger :

Le directeur/directrice de thèse n’est pas toujours disponible ? Par ailleurs, difficle de le déranger lorsqu’il s’agit de petites questions, sachant son emploi du temps déjà saturé... Comment trouver le texte le plus pertinent pour améliorer son volet méthodologique pour l’analyse du discours ? Qui peut relire la micro-revue de littérature que j’ai effectué pour un article ou une conférence que je prépare ? Il parait difficile de solliciter le directeur/la directrice pour ces éléments, surtout avec ses délais de réponse…La solution ? Constituer un groupe composé de pairs (étudiant.e.s au 2ème et 3ème cycle). Les personnes étudiantes peuvent être au sein de votre département, sous la supervision du même directeur/directrice, être dans le même laboratoire ou être des collègues au sein de la même équipe de recherche par exemple. Il s’agit de constituer un groupe informel qui peut se rencontrer, par exemple, une fois par mois pour 1) parler des défis rencontrés et des enjeux de la recherche en général, 2) poser des questions sur les ressources existantes à l’université et 3) même discuter d’un écrit d’un des membres. Échanger est un processus naturel et parfois les collègues font des suggestions intéressantes. Le simple fait d’échanger sur ses difficultés et de formuler à l’oral son raisonnement permet souvent d’entrevoir les solutions.

5 - Bloquer du temps pour la réflexion et l’écriture :

Cela semble basique mais c’est souvent extrêmement difficile. Comment écrire lorsque l’on a un emploi à temps partiel ou même à temps plein pour des considérations financières ? Comment écrire lorsque l’on a accepté plusieurs assistanats de recherche ou/et d’enseignement stimulants qui procurent une satisfaction plus immédiate ? Ménager du temps pour réfléchir et écrire est la solution… Cela veut dire BLOQUER du temps. Des blocs de temps dans votre calendrier outlook ou papier pour réfléchir, lire et écrire que personne ne peut vous ôter!!! Personne!!! J’ai dit, personne!!! Ce temps est inviolable; il est pour vous et vous devez être intraitable à ce sujet! Même si cela n’est qu’une journée ou demi-journée par semaine. Sécurisez ce temps! Les urgences ne manquent pas au quotidien mais triez-les en fonction de leur niveau d’importance. Et surtout, si vous voulez écrire, ne consulter pas toutes les 30 minutes vos courriels, vos réseaux sociaux ou votre téléphone! Ici réside la clé de votre salut! Extrêmement basique mais très compliqué…L’université de Sherbrooke propose d’ailleurs un service pour aider les étudiant.e.s. Il s’agit d’une journée de rédaction mensuelle, dans un cadre propice à l’écriture, sur les campus de Sherbrooke ou Longueuil. Cette initiative s’appelle les Journées Réd-Action. Jetez-y un oeil!

6 - Ne pas se laisser consumer par le feu du dragon [1] :

Malgré que notre recherche nous passionne, il faut prendre du recul et éviter de s’enfermer dans une relation exclusive avec celle-ci. Cela implique de parler d’autres sujets avec ses proches et de conserver une curiosité pour le monde extérieur à l’académique. Pour y parvenir, il convient par exemple d’avoir d’autres loisirs. Au cours des retraites d’écriture organisées par l’association Thèsez-vous – une agréable communauté d’étudiant.e.s en maitrise et au doctorat solidaire dans l’exercice d’écriture – les étudiant.e.s doivent se présenter, énoncer leur objet de recherche en trois concepts et dire un de leurs loisirs. Les premières fois, les étudiant.e.s sont désarçonné.e.s et ont du mal à trouver des loisirs dans leurs occupations. Lors de ma première participation en 2017, ce fut aussi pour moi une prise de conscience que je devais faire un effort pour conserver un plus grand équilibre de vie. J’ai donc pris sur moi, réapprenant à accorder du temps aux autres sphères de ma vie et à avoir quelques loisirs connexes. Depuis, l’écriture est redevenue (à peu près ;p) sereine et fluide.

[1] Les amateurs et amatrices de Game of Thrones comprendront qu’il faut se construire de manière plus équilibrée que Daenerys Targaryen et ne pas chercher à tester son immunité au feu. #Improbable_Spoiler